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Hommage à Dominique Dussidour, écrivaine et Amie d’Yves Navarre

L’écrivaine Dominique Dussidour est décédée le 17 avril 2019. Elle était membre du comité de rédaction de remue.net, site consacré à la littérature contemporaine. Institutrice à Paris, puis professeure de français en Algérie, Dominique avait travaillé pendant vingt-cinq ans dans l’édition et publié une œuvre conséquente comprenant romans (Portrait de l’artiste en jeune femme, Les Mots de l’amour, une trilogie intitulée Dont actes), récits (Les Matins bleus, Une guerre, Petits récits d’écrire et de penser, S.L.E. Récits d’Algérie), nouvelles (Flora et les sept garçons), une biographie (Si c’est l’enfer qu’il voit. Dans l’atelier d’Edvard Munch) et de nombreux articles. Son tout dernier livre, Sade Romancier, est sorti en avril 2019. Dominique Dussidour était une adhérente de la première heure des Amis d’Yves Navarre. Sylvie Lannegrand, présidente de l’association, prend la parole dans ce billet hommage et retrace ce qui a marqué sa rencontre avec elle en faisant entendre la voix de l’écrivaine, par citations interposées.

Dominique Dussidour à Kylemore, Connemara, Comté de Galway, septembre 2014

J’ai fait la connaissance de Dominique Dussidour en 2013, à l’occasion de l’appel à communications pour le colloque Yves Navarre que j’organisais à Galway en septembre de l’année suivante, appel lancé telle une bouteille à la mer, après des années de travail solitaire. Dominique avait été l’une des premières personnes à me répondre, le 19 novembre 2013 :

Chère Madame,

J’ai lu votre appel à contribution : « Yves Navarre : Une vie à écrire » sur le site fabula.org.
Je suis écrivain et je fais partie du comité de rédaction de remue.net, site de littérature contemporaine.
Je dois d’abord vous dire à quel point je me réjouis de ce colloque que vous organisez. Le silence général de ces dernières années sur l’œuvre et la personne d’Yves Navarre m’a beaucoup attristée. Dans les années 1980-1990 j’ai travaillé pour les éditions Albin Michel comme lectrice-réviseuse – je relisais les manuscrits avant envoi à l’imprimerie, en particulier dans le domaine de la littérature française. À ce titre, j’ai eu l’honneur et la joie de travailler avec Yves Navarre sur quelques-uns de ses romans.
J’ai en ma possession une nouvelle d’Yves Navarre que je crois inédite, La Gobeuse d’âmes, qu’il m’avait donnée par amitié. Les pages dactylographiées sont numérotées de 1 à 9, plus deux pages dactylographiées non numérotées. La première (non numérotée) reprend le titre d’un roman que, je crois, Yves n’a pas écrit, Les Âmes résolues, mais qui est le titre du chapitre 73 de La Terrasse des audiences au moment de l’adieu et qui était aussi, vous le savez, une formule d’amitié de la part d’Yves. La page 2 porte en exergue « Tout vient comme il faut aux âmes résolues » et en dédicace : « à la Gobeuse d’âmes ».
Cette nouvelle n’est pas datée, elle date probablement du début des années 1990. Je la mettrai en ligne sur remue.net à la date anniversaire de la mort d’Yves Navarre, le 24 janvier 2014, en hommage.
J’annoncerai votre colloque en faisant un lien vers l’annonce de fabula.org, cependant si vous avez un début de programme sur le site de l’université de Galway par exemple, merci de me l’envoyer, je l’indiquerai.
Avec mes amitiés.

Ce message fut le premier de nombreux autres et de plusieurs rencontres, qui forgèrent une relation d’amitié. Dominique participa donc au colloque de Galway, « Une vie à écrire », en 2014. Dans une présentation toute en finesse intitulée « Merci d’avoir laissé le h de vérandah », elle évoque sa rencontre avec l’auteur en 1986 et son travail de lectrice-réviseuse pour les éditions Albin Michel, pour les manuscrits de Tiffauges (qui deviendra Une vie de chat) et des sept textes qui seraient réunis sous le titre Romans, un roman. Voici le début de son intervention :

J’ai fait la connaissance d’Yves Navarre un lundi après-midi du mois de mars 1986, numéro 1 de la rue Pecquay, deuxième étage, fenêtres ouvrant sur la rue des Blancs-Manteaux. À la fin du mois de février la neige était tombée pendant trois jours sur Paris, place de l’Hôtel-de-Ville, esplanade des Invalides, cour et jardin de Malakoff où j’habitais. J’écrivais mon premier roman, Portrait de l’artiste en jeune femme, qui paraîtrait en 1988. Avant que je signe le contrat d’édition, Yves Navarre le ferait relire par son avocat afin de s’assurer que les termes en étaient corrects.

Dominique Dussidour avait pour Yves Navarre une grande admiration

D’autres textes de l’auteur importaient à Dominique Dussidour. Lors du colloque Yves Navarre de Paris en novembre 2015, « Du romanesque à l’autobiographique », elle nous fit partager ses réflexions sur « Un roman intitulé Biographie », se penchant en particulier sur les deux temporalités du texte. Au début de sa communication, elle exprime en ces termes l’importance que revêt pour elle cet ouvrage :

Cette lecture est une relecture. Biographie, roman d’Yves Navarre paru en 1981, n’a guère quitté ma table de travail depuis 1986, année où je l’ai lu la première fois. En 2000, Biographie a fait écho quand j’ai lu Le Livre d’un homme seul du romancier Gao Xingjian, né comme Yves Navarre en 1940, traduit du chinois par Noël et Liliane Dutrait. Ces deux romans s’appuient et progressent sur les écarts et les tensions créés par une narration à deux voix, il et je dans Biographie, il et tu dans Le Livre d’un homme seul. Une jeunesse française dans les beaux quartiers de Paris, une jeunesse chinoise pendant la Révolution culturelle maoïste : deux expériences dissemblables dans leurs circonstances culturelles et politiques, semblables dans leurs désirs, leurs colères, leurs douleurs ; deux romans qui appartiennent à la littérature mondiale. En racontant l’histoire de l’un, ces deux écrivains racontent l’histoire de tous : entendre et faire entendre les voix multiples, dissonantes ou à l’unisson, qui traversent une conscience humaine. Les questions que chacun d’eux pose sur l’Histoire et sur son histoire, sur ses origines sociales et familiales, et sur ce qui, finalement, le constitue en propre, nous nous les posons tous.

Lectrice attentive, écrivaine de talent, Dominique avait pour Yves Navarre une grande admiration. Elle adhéra à notre association dès la création de celle-ci en 2016, suivit toutes nos activités et soutint notre action. Cette année-là, entièrement livrée à l’écriture du texte en cours, elle regrettait de ne pouvoir nous rejoindre au colloque de Montpellier : « Je souhaite consacrer tout mon temps au roman que j’ai en tête et que je commencerai dans le courant du mois de mai (à la mi-mai…). Et il m’est impossible de faire coexister en moi une personne qui écrit un roman et une personne qui écrit sur le roman, fût-ce un roman dont les enjeux me passionnent (je pense, comme tu sais, à Premières pages et à Romans, un roman). »

Dominique Dussidour à Paris, Colloque Yves Navarre, novembre 2015

Le don de parler juste et d’écouter les autres

La qualité d’écoute et la générosité de Dominique Dussidour étaient rares. J’ai eu l’immense plaisir de l’accueillir à Galway quelques années après le colloque qui nous avait permis de nous rencontrer. Elle parla avec enthousiasme aux étudiants de Licence de l’Algérie qu’elle aimait tant et de son expérience d’enseignante, et rencontra le petit groupe de mes étudiants de Master pour échanger sur leurs projets respectifs et répondre à leurs questions.

En 2017, Dominique vint assister au lancement du recueil de poèmes d’Yves Navarre, Chant de tout et de rien, chants de rien du tout, et au concert de Julian Lembke à Paris. C’est en novembre 2018 que nous la vîmes pour la dernière fois. Déjà très affaiblie par la maladie, elle était venue au Salon de la Revue à la Halle des Blancs-Manteaux, pour la table ronde consacrée à Yves Navarre et aux Cahiers. Affaiblie mais alerte, volontaire, heureuse d’être à nos côtés. Dans le dernier message que je reçus d’elle, le 14 novembre 2019, elle eut cette réflexion sur les personnes que nous avions rencontrées au Salon, qui avaient échangé avec nous leurs souvenirs d’Yves Navarre et dont je lui avais parlé : « Tu as rencontré des personnes dont chacune — le monsieur diplomate, la dame écrivain, un voisin… — aurait été digne de figurer dans un roman d’Yves Navarre… Au plaisir de te rencontrer à nouveau. » 

Nous sommes ravis, Dominique, de t’avoir connue. Tu nous as fait un bien beau cadeau en partageant tes souvenirs de l’auteur qui nous rapprochait. Je garde quant à moi le souvenir ému de ta présence tout à la fois forte et discrète, du don que tu avais de parler juste et d’écouter les autres, attentive à leur histoire, et de ton sourire.

Sylvie Lannegrand.

 

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