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Yves Navarre, un « Cœur qui cogne » depuis 50 ans

Douze ans après la mort du fils aîné, parents, enfants et petits-enfants Dauzan se retrouvent au Rivier, la maison familiale du bord de Seine… Sorti en septembre 1974, le roman d’Yves Navarre Le cœur qui cogne bat depuis au diapason de celui de ses lectrices et de ses lecteurs. Pour Didier Decoin, c’était le livre à lire cette année-là. Philippe Leconte revient pour nous sur le roman et sur sa réception.

Assez rapidement après sa sortie en librairie au début du mois de septembre 1974, Le cœur qui cogne allait rejoindre les sacro-saintes listes des romans retenus lors de cette rentrée littéraire en vue des prix de l’automne. S’il fut avec ce livre finaliste du Goncourt, Navarre devra cependant patienter six ans et huit romans avant de décrocher le fameux prix.

Le cœur qui cogne, roman choral et familial

Ce Cœur qui cogne palpita sous la plume d’Yves Navarre du 23 février au 4 avril 1974 (ainsi que nous le révèle le Journal de l’auteur*). Et c’est comme souvent dans le silence de Joucas dans le Luberon que cet opus vit le jour, à l’abri des mondanités parisiennes, des contrariétés et des coups de téléphone incessants.

Le cœur qui cogne fut le premier** roman familial et choral que l’auteur écrivit, puisant son inspiration dans ses souvenirs et sa famille. Cette thématique, très largement autobiographique, allait profondément marquer et séduire ses lectrices et ses lecteurs.

Un hommage à Vétheuil et à ses paysages

Bien que les personnages du Cœur qui cogne soient nombreux, le protagoniste en est indiscutablement Le Rivier. Et ce Rivier n’est pas une personne mais un lieu, une maison : la villégiature de la famille Dauzan derrière laquelle on devine aisément la famille Navarre. Qui a lu attentivement Biographie peut identifier les modèles et les traits de caractère du père, des frères et surtout de la mère d’Yves Navarre derrière les personnages du roman, les acteurs et actrices pourrait-on dire tant l’écriture et le découpage en courts chapitres sont proches du scénario d’un film.

C’est d’ailleurs peut-être là le coup de maître d’Yves Navarre : être parvenu – comme lors d’une projection cinématographique – à faire ressentir au mieux dans l’esprit du lecteur l’âme de cette maison, sortie d’un long silence et de la naphtaline pour briller une ultime fois de ses feux. L’âme de son jardin aussi, de ses arbres et de leurs senteurs. L’âme enfin de la Seine qui coule au pied du Rivier, lui offrant ses beaux méandres immortalisés par Claude Monet. Car le modèle du Rivier, c’est à la fois la maison de campagne familiale de la famille Navarre à Vétheuil, dans le Vexin, à une soixantaine de kilomètres de Paris, et une demeure proche située plus en bordure du fleuve.

Un monde disparu à jamais

Le cœur qui cogne n’est pas non plus sans faire songer au Tchekhov de La Cerisaie. Ici aussi nous assistons à une ultime réunion de famille. La nostalgie des souvenirs heureux voisine avec les heurts et le fantôme du frère mort. Les parents ont vieilli, les enfants ont grandi, les arbres ont péri et les rancœurs ont fleuri. La maison va être vendue et le partage des meubles commence alors que le repas n’est pas terminé. Ces déchirures et cette séparation, Navarre les décrit d’autant mieux qu’il les a vécues.

Au début des années 70 en effet, René Navarre décida de mettre en vente la maison de Vétheuil, la jugeant quelque peu dépassée et préférant faire construire au bord de la Méditerranée une maison plus grande et plus adaptée à la famille qui ne cessait de s’agrandir. Yves aurait voulu conserver la propriété, quitte à renoncer à tout autre part d’héritage. Mais le patriarche en décida autrement et vendit la maison, sans se douter qu’elle allait très vite revivre sous la plume de l’auteur pour un émouvant chant du cygne.

Une réception (quasi) unanime

Le cœur qui cogne offrit à Yves Navarre une tribune médiatique conséquente. Ainsi le 13 septembre il eut les honneurs d’Italiques, le rendez-vous littéraire phare de cette époque à la télévision (avant la création d’Apostrophes, l’année suivante). Quelques jours plus tôt, il était passé au Pop-Club, chez José Arthur sur France Inter. Et le mois suivant, Pierre Sipriot lui consacra son émission Un livre des voix sur France Culture. Surtout, la journaliste suisse Catherine Charbon viendra tourner avec son équipe un long portrait d’Yves Navarre pour la RTS au cours duquel l’auteur l’entraînera sur les lieux mêmes du Rivier, en bord de Seine.

Du côté de la presse écrite, Jean-François Josselin (Le Nouvel Observateur), Bertrand Poirot-Delpech (Le Monde), Christiane Baroche (La Quinzaine littéraire), Jean Chalon (Le Figaro littéraire) et surtout Didier Decoin (Les Nouvelles littéraires) firent part de leur enthousiasme. Seul Angelo Rinaldi opéra « une véritable descente en flammes » (selon les mots d’Yves Navarre) dans les colonnes de L’Express***. Nous retiendrons enfin la remarque de Pierre-Jean Remy dans Le Figaro du 26 janvier 1994 lors de son hommage à Yves Navarre après la disparition de celui-ci : « Peut-être que Le cœur qui cogne […] donne le ton de toute son œuvre. Un titre clef, un titre emblématique. »

 


Lire Le cœur qui cogne :
• en ebook, H&O 2020,
• dans les Œuvres complètes 1974-1976, H&O 2020.

 


* Journal archivé au Fonds Yves Navarre, BAnQ, Montréal.
** Dans la même veine des romans familiaux, Yves Navarre écrivit Je vis où je m’attache en 1978 et Le Jardin d’acclimatation en 1980.
*** Pour une lecture plus complète de la réception critique du Cœur qui cogne, voir les commentaires dans les Œuvres complètes 1974-1976, H&O, 2020 (page 291 et suivantes).

Crédits photo : RTS, INA, Ph. Ferrer, Google.

 

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