« Les humains sont oublieux » : hommage à Hugo Marsan
- Karine
- Mai, 27, 2022
- Contributions, Vie de l'auteur
- Commentaires fermés sur « Les humains sont oublieux » : hommage à Hugo Marsan
L’universitaire Frédéric Canovas, membre des Amis d’Yves Navarre, se souvient de l’écrivain et journaliste Hugo Marsan, décédé le 18 mai 2022. Attristé par le silence entourant la mort d’une « grande figure du mouvement homosexuel des années 80 », il lui rend hommage dans ce texte qu’il nous a confié. Merci à lui.
Par Frédéric Canovas
Mon premier souvenir d’Hugo Marsan est lié à Gai Pied. Avant de lire ses contributions dans le célèbre magazine, je me souviens que le nom même du journaliste exerçait sur moi une sorte de fascination. Il s’agissait en fait du pseudonyme que Daniel Dutilh avait adopté, à la fin des années 70, pour signer ses premiers articles dans la presse homosexuelle. Une manière de préserver une certaine discrétion vis-à-vis de sa famille et de ses collègues des lycées parisiens où il enseignait le français. Le prénom Hugo, peu fréquent à cette époque (mais l’est-il davantage aujourd’hui ?), était celui d’un élève de mon école primaire qui avait retenu mon attention quelques années auparavant. Il évoquait aussi, bien sûr, le souvenir du grand poète. Le nom Marsan, quant à lui, sentait bon la province du sud-ouest et me ramenait à Mauriac dont les romans, lus dès mes premières années de collège, me fascinaient déjà. Un prénom et un nom doublement littéraires donc pour celui qui aspirait à devenir un écrivain et qui ne le fut vraiment pleinement que sur le tard.
Hugo Marsan, un journaliste important pour la presse gaie des années 80
Avant d’être écrivain, Hugo Marsan fut un journaliste important pour la presse gaie des années 80. C’est l’époque où Gai Pied, dont la publication était encore mensuelle, paraissait dans un format plus proche de celui d’un quotidien que d’un magazine, ce qui ne facilitait pas sa dissimulation pour les jeunes lecteurs qui, comme moi, n’étaient pas tout à fait prêts à affronter le regard réprobateur de la marchande et des clients du bureau de tabac. La taille encombrante du journal faisait aussi qu’il était difficile d’en dissimuler les exemplaires à la maison. Mais le mélange de curiosité et d’excitation qui, à l’âge de 16 ans, présidait à l’achat du magazine supplantait toute forme d’hésitation et permettait de surmonter la peur d’être démasqué. Et puis il y avait les beaux articles d’Hugo Marsan, écrits dans une langue qui se démarquait de celle des autres contributeurs du journal et dont la sensibilité laissait présager la grande délicatesse de ses futurs romans.
Je ne me souviens pas avoir vu de photographies d’Hugo Marsan à cette époque-là mais sa voix m’était familière au travers des émissions radiophoniques auxquelles il participait sur l’antenne de Fréquence Gaie que j’écoutais alors religieusement en sourdine ou le casque sur les oreilles pour ne point éveiller les soupçons de ma famille. Je l’entends encore expliquer un dimanche soir, au micro de FG, comment l’idée du titre de son recueil de nouvelles Saint-Pierre-des-Corps (Éditions Persona, 1985) lui était venue dans le train au cours d’un trajet de Paris à Dax, où il se rendait régulièrement pour rendre visite à sa famille. Le train corail (les TGV ne circulaient pas encore sur cette ligne) traversait alors la petite gare de Saint-Pierre-des-Corps avant de faire un arrêt en gare de Tours. Et je reconnaissais dans cet amour des mots et des noms de lieux un sentiment confus sur lequel je n’avais pas encore réussi à poser des mots mais qui m’était néanmoins familier.
À cette époque, Navarre avait réussi à faire converser ses lecteurs entre eux par la magie du texte.
Ma rencontre avec Hugo Marsan fut le fruit d’un hasard. Étudiant de lettres modernes, il me fallait un sujet de mémoire pour valider ma maîtrise et, après quelques hésitations, je décidai de m’atteler à l’analyse des romans d’Yves Navarre, romancier prolifique dont j’avais lu des extraits dans Gai Pied et qu’un ami m’avait fait connaître à mon insu en m’adressant pendant des mois des lettres truffées de passages « empruntés » à divers romans de Navarre sans le citer, si bien que je peux me vanter d’avoir lu des paragraphes entiers d’Yves Navarre avant même d’avoir ouvert l’un de ses romans ! C’est dire si, à cette époque, les récits de l’auteur du Temps voulu et du Petit Galopin de nos corps étaient importants pour la communauté gaie et combien le romancier avait réussi à faire converser ses lecteurs entre eux par la magie du texte. Mon amant de l’époque était journaliste à Gai Pied, aussi proposa-t-il, lorsque je lui soumis mon projet de mémoire, de me mettre en contact avec Hugo Marsan, alors rédacteur en chef de Gai Pied, qui fréquentait Yves Navarre. C’est donc dans ces circonstances que je fis la connaissance de l’un et l’autre à Paris à l’âge de 21 ans, tout droit sorti de mon université de province, et que je me présentai quelques semaines plus tard, un soir de février 1987, au domicile d’Yves Navarre, rue Pecquay.
Hugo Marsan faisait partie de ces personnes pour qui la gentillesse, l’amitié et la fidélité avaient un sens.
C’est avec gratitude que j’évoque ici, trente-cinq ans plus tard, le souvenir d’Hugo Marsan d’autant que le silence entourant sa disparition dans la presse me rend celle-ci plus cruelle encore. Comment Le Monde, auquel Marsan a collaboré pendant de nombreuses années au sein de l’équipe du Monde des Livres, peut-il avoir la mémoire si courte* ? Le journaliste/romancier méritait mieux qu’un avis de décès dans les pages du « Carnet ». Mais « les humains sont oublieux » notait naguère Yves Navarre. Je me souviens qu’à la mort de l’auteur du Jardin d’acclimatation, en janvier 1994, Marsan s’était porté volontaire pour rendre, dans Le Monde, un bel hommage au romancier qui venait de se suicider. Hugo Marsan faisait partie de ces personnes pour qui la gentillesse, l’amitié et la fidélité avaient un sens. Avec sa disparition, c’est un peu de ces valeurs qui s’en sont allées. Il fallait bien lui rendre ici un hommage, aussi modeste soit-il.
Crédits photos : archives revue Masques et © Louis Monier.
* NDLR : depuis la publication de ce billet, Philippe-Jean Catinchi a publié un article sur le site du Monde.
Articles récents
Archives
- octobre 2024
- septembre 2024
- juin 2024
- mai 2024
- avril 2024
- mars 2024
- février 2024
- janvier 2024
- octobre 2023
- septembre 2023
- juillet 2023
- juin 2023
- mai 2023
- mars 2023
- février 2023
- janvier 2023
- novembre 2022
- octobre 2022
- juillet 2022
- juin 2022
- mai 2022
- avril 2022
- mars 2022
- février 2022
- janvier 2022
- novembre 2021
- septembre 2021
- juillet 2021
- juin 2021
- mai 2021
- avril 2021
- mars 2021
- février 2021
- janvier 2021
- décembre 2020
- novembre 2020
- octobre 2020
- septembre 2020
- juin 2020
- mai 2020
- avril 2020
- mars 2020
- février 2020
- janvier 2020
- novembre 2019
- octobre 2019
- septembre 2019
- août 2019
- juillet 2019
- juin 2019
- mai 2019
- avril 2019
- mars 2019
- février 2019
- décembre 2018
- novembre 2018
- octobre 2018
- juillet 2018
- juin 2018
- mai 2018
- avril 2018
- mars 2018
- janvier 2018
- novembre 2017
- octobre 2017
- septembre 2017
- juin 2017
- mai 2017
- avril 2017
- mars 2017
- février 2017
- janvier 2017
- décembre 2016
- novembre 2016
- octobre 2016
- septembre 2016
- juillet 2016
- juin 2016